Le jeune couple a pris possession du château de Tocqueville après la mort de Louise de Tocqueville en janvier 1836. Alexis a reçu le château de Tourlaville mais l’a échangé avec celui de Tocqueville, dévolu à son frère Edouard. Hippolyte possède Nacqueville. Avec l’accord de ses frères, il a reçu le titre de Comte ; afin de compenser son manque de richesse, faute d’un beau mariage.
Alexis s’attache à rédiger le tome 2 de la Démocratie en Amérique, en grande partie dans son bureau du château de Tocqueville sous l’œil de son aïeul, le marquis de Vauban. Il est écrivain avant le dîner et paysan après :
« Je me suis remis sérieusement à mon livre et je bâtis une magnifique étable à cochons. Laquelle de ces deux œuvres durera plus que l’autre ? Je n’en sais rien ! Les murs que je donne à mes cochons sont bien solides. »
Il consacre toutes ses rentrées d’argent à l’amélioration du château de Tocqueville. En tant que châtelain, il participe aux événements communaux, donne du travail à ceux qui en manquent le plus et emploie plusieurs villageois pendant les périodes de disette. Au nom de son père, il fait don à la commune du terrain pour construire l’école.
Marie tient parfaitement son rôle de châtelaine : elle distribue le pain des pauvres le vendredi, organise la kermesse avec le maire. Elle sait recevoir, rendre les visites, écouter les villageois. Elle veille à la marche du domaine, discute les baux, perçoit les loyers, suit les récoltes. Elle rend habitable la « vielle masure ». C’est elle qui conçoit, commande, suit les travaux.
Mais la politique prend à Alexis de plus en plus de temps. Il échoue lors d’une première tentative en novembre 1837 dans la circonscription de Valognes contre le comte Jules Polydor Le Marois, fils du Général d’empire Le Marois, une des grosses fortunes locales, dont le programme se résumait à protéger l’élevage normand contre l’importation de bestiaux étrangers. Outre sa fortune Le Marois disposait d’un autre avantage : un foie à toute épreuve qui lui permettait d’aller de dîner en banquet, de libations en libations.
En janvier 1839, Louis-Philippe dissout à nouveau la Chambre. Cette fois Tocqueville a soigneusement préparé l’échéance : les dissolutions sont si fréquentes sous la monarchie de Juillet qu’il faut toujours se tenir prêt. Il a tiré les leçons de son échec. Il a pris ses quartiers à l’hôtel du Louvre de Valognes ; il est allé dans les foires et les marchés ; il y a envoyé ses amis.
En mars, il est élu député de Valognes par 318 voix contre 240 pour Le Marois. Il siège à l’assemblée, à gauche : « L’endroit où l’on place son derrière est plus important que ce que l’on a dans la tête »
Entre temps il est nommé chevalier de la Légion d’Honneur (1837), puis élu à l’Académie des sciences morales et politiques (1838), il sera reçu à l’Académie Française en 1841.