Extrait en majorité du livre de Louis Drouet « Recherches historiques sur les vingt communes du canton de St Pierre Eglise » 1893.
Tocqueville possédait autrefois deux fiefs principaux : le fief de Tocqueville, proprement dit, et le fief d’Auville. Au 12e siècle, Raoul et Richard, propriétaires du fief d’Auville, étaient patrons fondateurs de l’église St Laurent de Tocqueville, qu’ils aumônèrent à l’Abbaye de Montebourg avec les dîmes et les appartenances. Cette donation eut lieu du consentement de leurs seigneurs suzerains, Richard de Vernon et de Robert de Hainou, et fut confirmée par Henri II, duc de Normandie (1174-1189).
C’est dans la première moitié du 13e siècle, que fut vraisemblablement bâtie l’église actuelle de Tocqueville. L’ancien portail, réinstallé à la fin du 19e siècle sur le côté nord, les trois fenêtres à lancettes du chevet, visibles dans la sacristie, sont du style ogival de la première période.
Les ouvertures des nefs et du chœur ont été refaites et modifiées par la suite. Le bâtiment se compose d’une nef flanquée au nord d’un bas-côté. Les arcades en ogives sont soutenues par des piliers cylindriques, grossièrement travaillés. Au sud se trouve un clocher, initialement à bâtière, qui a été transformé à la fin du 19e siècle.
Une grande chapelle, la chapelle du Rosaire, ouvre sur le chœur et fait le prolongement du bas côté. Elle fut construite pendant le 14e siècle. Les fenêtres et les nervures de la voute sont bien de l’époque. Les de Hennot, seigneurs de Tocqueville dans ces temps-là, n’avaient dans le chœur aucuns droits de séance et de sépulture, réservés aux titulaires du fief d’Auville. Il est naturel qu’ils aient fait élever cette grande chapelle pour inhumer leurs défunts et siéger sur un banc exclusivement à eux. On y trouve encore plusieurs pierres tombales.
A partir de 1585 le curé de Tocqueville Olivier Frimot commença à tenir des registres de catholicité.
En 1665, la couverture eut besoin d’une réparation très importante. On se servit de l’ardoise du Vast qui valait 7 sous le cent. Les ouvriers couvreurs étaient payés 10 sous par jour avec un pot de cidre et les serveurs 7 sous.
En juin 1696, Michel Gardin devint curé de Tocqueville. Sous son administration la charpente et la couverture de la tour furent refaites à neuf. Le coq qui surmontait la croix coûta 8 livres 2 sous. La fenêtre de l’autel de la Sainte Vierge fut murée. Au dessus de l’autel, Lemasurier, menuisier, construisit un contretable au prix de 100 livres.
L’église fut repavée en pierre d’Yvetot. Les pavés des chapelles du Rosaire et des Saints Cosme et Damien furent redressés et réparés. L’autel des Saints Cosme et Damien occupait l’emplacement de la porte du Nord. La charpente du grand côté de l’église fut relevée en 1703.
De 1707 à 1714 les travaux continuèrent dans l’église. Une porte neuve fut mise au portail. Pierre Vigot et Robert Latire construisirent une chaire et deux confessionnaux et rallongèrent la perche du crucifix, ce qui porte à croire que l’arcade de l’entrée du chœur fut élargie.
Charles François Laisney de Longpré devint curé en 1732. Il refit la sonnerie du clocher. Les deux cloches existant déjà furent refondues. Une troisième fut ajoutée. Le sieur Lenoir, pour son travail et la fourniture de 855 livres de métal à 28 sous la livre, reçut 1 299 livres. Mr Georges-Charles Clérel, seigneur et patron de Tocqueville, donna à cette occasion 51 livres, les paroissiens 24 livres. Le curé paya une partie de la charpente. Le reste fut soldé par le trésor de l’église. L’ancien presbytère, situé sur les hauteurs de Tocqueville, et qui sera vendu à la Révolution, est attribué à Mr Laisné.
Louis Dudouy fut nommé curé en 1776. Le lambrissage de l’église fut payé 800 livres en 1777. L’année suivante, Lacolley, peintre, reçut 1083 livres pour avoir peint et doré le grand autel. C’est dire la richesse de ce morceau d’architecture. Les patriotes, en procédant à l’inventaire du mobilier de l’église, ne purent s’empêcher d’en faire la remarque : Un maître-autel et un contretable d’un très beau spectacle, chargé de dorures.
Lors de la révolution, Louis Dudouy et son vicaire Jean François Michel Le Charpentier reçurent l’ordre de prêter serment, exigé par la constitution civile du clergé. Le serment fut prêté en des termes qui le rendirent nul et non avenu. Les deux prêtres prirent la route de l’exil.
Les biens de la cure furent vendus à vil prix, l’église dévalisée de son argenterie, les ustensiles de cuivre, qui n’étaient pas de première nécessité portés au district de Cherbourg. Le mobilier de l’église, les croix des carrefours et du cimetière, mis aux enchères, produisirent 400 livres. Les trois cloches furent descendues et envoyées à Cherbourg pour faire des canons, alors qu’il était possible d’en conserver une. A cette époque, les personnes élues, composant la municipalité, furent, suite à des dénonciations douteuses, relevées de cette fonction par un représentant du peuple venu exprès de Cherbourg ; et remplacées, sur désignation de ce même personnage. Quatre habitants, dont une dame, furent conduits en maison d’arrêt. Cette nouvelle municipalité, non élue, s’aperçut un peu tard qu’une cloche aurait été bien utile pour rassembler les citoyens de la commune pour les fêtes décadaires. Dans ce climat de troubles, une cloche fut « empruntée » à l’église de Ste Geneviève : cette commune étant alors comprise dans le canton de St Pierre Eglise. Elle y est toujours ! Elle porte les inscriptions suivantes :
« L’an 1777, j’ai été bénite par Mtre Michel François Pontus, curé de ce lieu et nommée Michèle, Jacqueline par le dit sieur curé et dame Jacqueline Suzanne Elisabeth Le Maillant, épouse de Mtre André Langlois, Conseiller du Roy Vicomte de Barfleur »
Avec la restauration du culte catholique, Jean François Michel Le Charpentier, ancien vicaire de la paroisse depuis 1778, fut rappelé en 1803 comme desservant de Tocqueville. L’église n’avait pas été vendue mais complètement dévastée en 1793. Le Conseil Municipal prit l’engagement de fournir les objets indispensables pour la célébration du culte.
En 1812, Pierre Lozouet obtint la cure de Tocqueville. Le curé logeait près de l’église dans une maison en location. Le comte de Tocqueville (le père d’Alexis), préfet de la Moselle, offrit cette maison à la commune pour servir à perpétuité de presbytère. La donation fut acceptée le 15 mai 1818.
Bon-Charles Anthouard, de Valcanville, devint curé en 1820. L’année suivante, le Conseil Municipal fit exhausser d’un étage le presbytère qui n’avait que le rez-de-chaussée. Jean Philippe Aubin, menuisier de Valcanville, sous la direction du curé, éleva le maître-autel et un retable à deux colonnes, son chapiteau ionique, deux fausses niches à consoles, l’entablement sommé de deux grandes volutes et une gloire rayonnante. C’est celui qui est toujours visible aujourd’hui.
Just-Joseph Dupond, curé de Tocqueville en 1839 mit en place les statues de Saint Laurent (achetée 400F grâce à une subvention d’Alexis de Tocqueville) et Saint Vincent. Il fit plafonner le chœur et la nef. Le grand tableau central, La Résurrection, par Legenvre date de 1847.
François Brisset fut curé de 1876 à 1884. Il fit garnir la fenêtre septentrionale de la chapelle du Rosaire d’un vitrail qu’on aurait dirait peint par un imagier d’Epinal (les deux vitraux actuels : rencontre de Marie et Elisabeth, datent des années 1950). Il fit élever un autel en pierre sous le vocable du Sacré-Cœur dans la chapelle sous le clocher et refaire au nord les fenêtres de la nef.
En 1884, la cure de Tocqueville fut confiée à Bernard Gouelle. A l’entrée du chœur, Donglas a sculpté un petit autel en l’honneur de Saint Joseph, maintenant disparu. La chapelle du Rosaire est restaurée et la fenêtre orientale ornée d’un vitrail dû à la générosité de Mme Onfroy, née Rouxel. La pierre tombale de la première sépulture d’Alexis de Tocqueville aurait, dit-on, servi à faire l’autel. Des niches sont pratiquées dans le mur pour recevoir des statues. Un dallage émaillé est placé dans le chœur. Des stalles en chênes sont construites. Les deux fenêtres du sanctuaire nord sont remplacées par une plus grande de style ogival. A cette occasion, Melle Hay et Mme Auvray offrent une magnifique verrière représentant le Christ bénissant les enfants, portraits des enfants des donateurs. De chaque côté de cette fenêtre se trouvent les statues de Saint Jacques et de Sainte Catherine, qui avaient leurs autels dans l’église avant la Révolution. La plus grande partie de ces travaux a été exécutée aux frais de l’abbé Gouelle.
En 1895, après dix années de discussions sur la nécessité de consolider le clocher qui menaçait de s’effondrer et dont la toiture avait été abimée par une tempête, l’église fait finalement l’objet de grandes transformations. Le portail ouest du 13e siècle est transféré au nord et remplacé par un portail en pierre calcaire d’Yvetot. Le pignon reçoit à son sommet une statue du Sacré-Cœur. Pour faire pendant au bas-côté nord, un bas-côté est construit au sud dans le même style. Ainsi la nef est bien éclairée, par des fenêtres semblables avec des vitraux représentant les 12 apôtres, datant du 1902. La nef a été voutée, en remplacement du lambris. Le clocher, à l’origine un clocher à bâtière, est exhaussé et deux fenêtres à lancettes accolées ont été ouvertes sur chaque face. Il est surmonté d’un clocheton, aujourd’hui disparu.
Au cours du 20e siècle, des travaux d’aménagement intérieur eurent lieu, en particulier, la construction d’une voute dans le chœur (similaire à celle de la nef), l’éclairage électrique, le remplacement des bancs par des chaises, le chauffage électrique au sol, l’électrification de la cloche (toujours celle de Sainte Geneviève). Plusieurs vitraux ont été offerts par des paroissiens de la commune.
L’église possède un tableau classé du 17e siècle, Le Sacrifice d’Abraham, récemment restauré, et situé dans la chapelle de Rosaire. Sur l’autel de cette chapelle se trouve maintenant une jolie Vierge à l’enfant en pierre du XVe siècle initialement posée au dessus du tabernacle du maître autel.
Dans la chapelle du Sacré-Coeur, on remarque un magnifique lutrin en chêne, ainsi qu’une petite statue en pierre du XVe siècle représentant Sainte Marthe terrassant Tarasque.
A noter aussi les fonds-baptismaux qui datent du 18e siècle.
Sur le mur sud du chœur, une plaque fait mémoire de plusieurs membres de la famille Clérel de Tocqueville, inhumés dans l’église. D’autres plaques portent les noms des anciens combattants Tocquevillais de la guerre 14-18 inscrits au fur et à mesure de leur disparition, ceux des « morts pour la France » étant gravés sur le monument aux morts.