«Ce cher Tocqueville ! Il ne se présente à mon imagination que comme l’asile de la paix et du bonheur. C’est le port au milieu de toutes les tempêtes. Je n’ai jamais, après tout, été autant et aussi longtemps heureux là.»
«J’ai soif de Tocqueville ; de notre solitude, de notre intimité, de notre tête-à-tête, de tout enfin ce qui fait le fondement réel de mon bonheur dans ce monde.»
Alexis de Tocqueville – Lettres à son épouse Marie Mottley
Historique des bâtiments
Deux tours, de dimensions inégales, celle du grand escalier à l’Ouest, et celle de la chapelle à l’Est flanquaient autrefois une petite maison normande comme il y en avait tant dans ce pays de bocage.
Une troisième tour à usage de colombier occupait l’extrémité de la cour de ferme d’origine. Celle-ci était accessible par un porche normand qu’Alexis de Tocqueville a fait transporter pierre par pierre vers 1840 afin de désenclaver quelque peu sa résidence.
Si nous nous replaçons au 15ième ou au 16ième siècle nous imaginons sans peine ce manoir-ferme, qui était en même temps une maison noble d’une certaine importance puisque, le bandeau qui ceinture le colombier l’indique, son propriétaire était titulaire du droit de basse justice, c’est-à-dire qu’il était en quelque sorte le juge de paix d’autrefois.
Au 18ième siècle, le manoir se transformait peu à peu en un aimable petit château. La façade Est actuelle fut littéralement plaquée sur la partie conservée du vieux manoir d’origine, celle entre les deux tours, tandis que le château était largement agrandi vers le sud.
Cette amorce d’une transformation totale qui aurait du aboutir à la destruction des tours et du colombier est stoppée en 1785 par la mort de Catherine-Antoinette de Damas-Crux, veuve de Bernard Bonaventure de Tocqueville (grands parents d’Alexis).
La propriété est inhabitée de 1785 à 1828. Alexis de Tocqueville et sa femme Mary Motley, d’origine anglaise, la restaurent de 1835 à 1857. Alexis voulait avoir devant lui de vastes horizons, un parc à l’anglaise, un petit étang. Il fit abattre les haies du bocage environnant ; il fit déplacer le porche du manoir ; il remplaça la fosse à fumier de la ferme par un petit étang. Il réaménagea les communs.
En 1894-1896, le comte Christian de Tocqueville (petit-neveu d’Alexis) fit bâtir le pavillon sud qui termine l’aspect général actuel de la construction.
L’occupation allemande en 1940 n’a pas laissé dans les bâtiments des traces qui n’aient pu être effacées, mis à part quelques blockhaus dans les champs alentours.
Plus graves en revanche furent les suites de l’incendie qui, en décembre 1954, devait détruire environ les deux tiers de la maison d’habitation, dont hélas la quasi-totalité de la partie la plus ancienne. On put néanmoins sauvegarder la bibliothèque, ancien cabinet de travail d’Alexis de Tocqueville ainsi que le chartrier contenant tous les papiers de famille. Le comte Jean de Tocqueville et ses deux filles décidèrent aussitôt de consacrer toutes les ressources de la famille au relèvement des ruines.
Récemment, le pavillon a été totalement réaménagé avec tout le confort moderne pour être proposé comme gîte .
Les propriétaires
Une première mention de l’habitation de Tocqueville existe vers l’an 1200 ; les propriétaires ont été successivement les familles de Hennot, du Mesnil, le Verrier.
Ces derniers appartenaient à la famille qui devait donner deux siècles plus tard le célèbre astronome de Saint Lo (1811-1877) qui découvrit la planète Neptune.
Le château se trouve actuellement dans le patrimoine des Clérel dont un ancêtre aurait été compagnon de Guillaume le Conquérant lors de la conquête de l’Angleterre à la suite de la bataille d’Hastings (1066).
Ils l’ont obtenu par échange avec les le Verrier en 1661. Les Clérel traversèrent la Révolution de 1789 sans trop d’encombre, au prix de deux concessions : la suppression du toit du colombier féodal (ce qui le rendait inutilisable) et le barbouillage en noir dans tous les ouvrages de la bibliothèque, des mots roy et des écussons fleur de lysés.
Citons à ce propos Alexis de Tocqueville :
« Vous voyez cette tour sans toit : c’était le colombier de mon grand-père. Il y entretenait trois mille pigeons. Personne n’avait le droit de les tuer, et personne dans la commune ne pouvait avoir d’autres pigeons. En 1793, lorsque les paysans furent les maîtres, ils ne firent aucun mal au reste de notre propriété. Nous avions vécu parmi eux pendant des siècles comme protecteurs et comme amis ; mais ils se soulevèrent en masse contre les pigeons, les tuèrent jusqu’au dernier et mirent la tour dans son état actuel. »
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Notons l’inscription sur le fronton de la porte d’entrée principale :
« HOSPES INGREDERE BONI VULTUS ADERUNT »
Qui peut se traduire par :
« Etranger, entres ici, tu y trouveras de bons visages pour t’accueillir »
Au-dessus figurent deux blasons :
A gauche celui de la famille Clérel :
« D’argent à la fasce de sable accompagnée de trois merlettes du même, rangées en chef et de trois tourteaux d’azur ordonnées 2 et 1 en pointe. »
A droite celui de la famille Damas-Cruz :
« D’or à la croix ancrée de gueules »